Un SESSAD « autisme » articule les approches sanitaire et sociale
24 Juin 2022
À Metz, l'hôpital psychiatrique de Jury et l'association CMSEA ont construit ensemble un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) « autisme ». Y travaillent des professionnels mis à disposition par l'hôpital et des salariés de l'association, qui croisent leurs regards, leurs pratiques et leurs approches complémentaires.
« Quelqu'un sait-il ce qu'est la puberté ? » Autour de la table, Diego, Louis et Théo tentent timidement quelques premières réponses : « C'est quand le corps change », « Il y a des poils qui poussent », « Quand on a des boutons »…Les trois adolescents porteurs de troubles du spectre autistique (TSA) accompagnés par le service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) participent à leur premier groupe ayant pour thème la puberté.
Un projet co-construit
Florence Wirth, éducatrice spécialisée, et Sylvaine Michalski, infirmière, animent conjointement un atelier autour de la puberté, à destination de quelques adolescents suivis par le Sessad autisme. La séance est animée conjointement par Sylvaine Michalski, infirmière, et Florence Wirth, éducatrice spécialisée.
La première travaille pour le centre hospitalier de Jury, la deuxième pour l'association du Comité mosellan de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (CMSEA). Mais toutes deux sont collègues au sein d'un même et seul Sessad.
Pas de modèle imposé
Et pour cause: le Sessad a été pensé et construit à l'initiative de ces deux partenaires et fonctionne toujours grâce à une mutualisation de moyens.« Quand nous avons créé le service en novembre 2014, raconte Emmanuelle Cassiani, l'actuelle directrice, le pédopsychiatre Olivier Scarpa et moi-même - je travaillais alors pour un institut médico-professionnel (Impro) - avons tout fait ensemble : nous avons écrit le projet de service, le règlement de fonctionnement… Toutes les décisions initiales ont été partagées. Il n'y a pas eu un modèle qui s'est imposé. »
Répondre à un besoin
Les deux partenaires avaient l'habitude de collaborer: « Le CMSEA et le centre hospitalier de Jury entretenaient des relations étroites depuis de nombreuses années, à travers notamment la Maison des adolescents gérée par des professionnels de Jury, et fréquentée par plusieurs adolescents suivis par nos deux Impro », précise Emmanuelle Cassiani.À cette époque, ils constatent un besoin d'accompagnement non pourvu: la Maison des adolescents était régulièrement interpellée par l'Éducation nationale, en difficulté face à de jeunes autistes sans déficience intellectuelle mais présentant des troubles du comportement.
Une ouverture à moyens constants
Emannuelle Cassiani, directrice du Sessad autisme co-créé, en Moselle, par l'hôpital psychiatrique de Jury et le CMSEA.Le pédopsychiatre et l'ancienne responsable de l'Impro sollicitent alors l'agence régionale de santé (ARS) pour créer un service à destination de ces jeunes autistes.
« L'ARS a accepté, mais à moyens constants. Le centre hospitalier de Jury a mis à disposition des moyens humains et nous avons redéployé du budget, pris sur un excédent de l'Impro lié à des places inoccupées, pour ouvrir le Sessad en 2014 », indique Emmanuelle Cassiani.
Un tarif revu à la baisse
Créé à l'origine pour 14 places, le service offre une capacité de 45 places (dont 10 en Sessad précoce pour les moins de 7 ans) depuis avril 2021. Au fil des années et malgré les difficultés de recrutement, en particulier dans le secteur de la pédopsychiatrie, le centre hospitalier n'a pas baissé ses dotations et les temps des professionnels mis à disposition (une infirmière, une psychologue et une pédopsychiatre) n'ont pas changé.Le reste de l'équipe du Sessad est aujourd'hui entièrement financé par l'ARS qui a toutefois revu à la baisse le prix de la place lors de la dernière extension en 2021 (passant de 30000 € à 21000 €).
Des approches complémentaires
Première séance au Sessad pour Corentin, 11 ans, ici avec la psychomotricienne, Marie Vilespy.L'intérêt de ce partenariat, c'est bien entendu la complémentarité des approches éducatives et thérapeutiques.
« Quand nous nous sommes lancés, nous avions quelques craintes car ce type de projet est très dépendant des personnes qui le portent, reconnaît Emmanuelle Cassiani. Nous nous demandions comment nos équipes allaient s'acculturer car nous ne travaillons pas de la même façon. »
« Nous n'avons pas les mêmes lunettes » Emmanuelle Cassiani, directrice du Sessad autisme
La pédopsychiatrie, précise ainsi la directrice, « privilégie une approche plus axée sur l'expression du corps. On y propose par exemple des “médiations”: les enfants sont invités à participer à des activités afin d'observer comment ils évoluent et s'adaptent à leur environnement, et de travailler les aspects de la relation. Tandis que nous, dans le médico-social, nous avons plus tendance à partir du jeune pour lui proposer une activité qui lui corresponde. Ici, il n'y a pas deux jeunes qui ont la même proposition d'accompagnement. »
Au sein d'une même équipe, chaque professionnel du Sessad apporte ainsi son expertise. « Au quotidien, c'est très intéressant de croiser nos observations, nous n'avons pas les mêmes lunettes », estime la directrice.
Articuler les accompagnements
Pascal Canteloup, éducateur spécialisé au Sessad autisme, ici avec Quentin, 15 ans et demi, qui arrive bientôt au terme de son accompagnement par le service.Recruté au Sessad autisme depuis son ouverture, Pascal Canteloup, éducateur spécialisé exerçait auparavant dans un Impro.
« À l'Impro, c'était beaucoup plus cloisonné. Ce qui est bien au Sessad c'est l'échange de pratiques. Le pédopsychiatre Olivier Scarpa, qui était présent au démarrage et pendant plusieurs années, ainsi que l'infirmière qui travaille au centre ressources autisme m'ont beaucoup aidé à mieux comprendre l'autisme. Je trouve que l'on peut mieux articuler nos accompagnements. Nous avons aussi reçu des formations communes. »
Des formations communes
Formations Pecs (système de communication par échange d'images), formations aux habiletés sociales… « Dès qu'il reste de la place, nous proposons aux autres d'en profiter, et vice-versa. Nous pouvons aussi proposer aux parents d'y participer », signale la directrice du Sessad.Ce mode de fonctionnement permet aussi de mutualiser des moyens : « Il peut nous arriver de prêter du matériel Snoezelen ou que la pédopsychiatrie nous prête des tests d'évaluation psychométrique en lien avec l'autisme, par exemple », ajoute Emmanuelle Cassiani.
Mieux cerner les problématiques
Présente une journée par semaine au Sessad, la pédopsychiatre Alicia Cautenet apprécie « l'approche multidisciplinaire ». « Dans le secteur sanitaire, je ne travaille qu'avec des infirmiers, alors qu'au Sessad je travaille quasiment exclusivement avec des éducateurs qui ont une autre approche. C'est enrichissant, cela complète bien les prises en charge. »Un exemple? « Contrairement au centre médico-psychologique où je travaille également, les éducateurs du Sessad interviennent sur le terrain. Grâce à eux, on ne perd pas du temps sur des hypothèses qui pourraient être fausses. Avec leur regard et leur expertise, les éducateurs nous permettent de mieux cerner les problématiques et d'apporter une réponse la plus adéquate possible pour les jeunes patients », explique la pédopsychiatre.
Un fonctionnement facilitateur
L'infirmière, Sylvaine Michalski, face à Diego, pendant un atelier consacré à la puberté. La pluridisciplinarité de l'équipe du Sessad permet une grande diversité des accompagnements proposésL'infirmière, Sylvaine Michalski, confirme: « Ce qui est intéressant, c'est notre complémentarité : les éducateurs ont une vision de tous les accompagnements possibles du côté du médico-social, les Impro, les instituts médico-éducatifs (IME)… Moi, je connais très bien les accompagnements de soins en psychiatrie : centre médico-psychologique (CMP), centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP)… »
Ce mode de fonctionnement constitue aussi un facilitateur: « Ma casquette d'infirmière du Sessad m'ouvre des portes, cela rassure les équipes du sanitaire pur pour l'accès aux soins », confie Sylvaine Michalski qui réalise des accompagnements aux soins auprès de professionnels de santé libéraux ou en milieu hospitalier.
Un accompagnement au soin
«Avant d'entrer au Sessad, nous n'avions jamais réussi à faire une prise de sang, témoigne Barbara Schell, mère de Diego, 12 ans, qui a intégré le service en avril 2021. Grâce à l'infirmière et au Sessad, Diego est parvenu à monter cette marche. Cela nous a permis de déceler une carence en fer qui expliquait en partie ses migraines. »Le jeune garçon, scolarisé en sixième en milieu ordinaire, vient tous les mercredis et jeudis au Sessad pour des séances d'orthophonie et de psychomotricité, il participe aussi à des ateliers en petit collectif.
Une vie changée
Son éducatrice référente lui rend visite au moins une fois par semaine: « Nathalie lui a appris à gérer sa respiration et son stress…, détaille Barbara. Diego a fait d'énormes progrès, il a gagné en autonomie, en responsabilité… Tout l'entourage l'a remarqué. Depuis que mon fils est entré au Sessad, ma vie, en tant que mère célibataire, a aussi complètement changé. »Travailler les compétences sociales
Les accompagnements, conçus sur-mesure pour chaque jeune, se font de manière individuelle et/ ou collective. Ici, Quentin, Théo, Louis et Jules lors d'un atelier arts plastiques.Les accompagnements conçus sur-mesure pour chaque jeune à partir des projets personnalisés peuvent se dérouler à domicile ou sur les lieux de vie (école, périscolaire…) et dans les locaux du service, de manière individuelle et/ou collective.
Le Sessad propose toutes les semaines des groupes d'habiletés sociales pour travailler les compétences sociales des jeunes. « J'aime beaucoup les groupes, confie Quentin, 15 ans et demi. Le Sessad m'a aidé à avoir des relations avec d'autres jeunes, à maîtriser mes émotions et mieux gérer les conflits. Au collège, ce n'est pas facile, il y a des jeunes qui se moquent de moi. »
« Le Sessad m'a aidé à avoir des relations avec d'autres jeunes » Quentin, 15 ans et demi
« Au collège, il y a beaucoup de discriminations. Des gens ne savent pas ce qu'est l'autisme, ils peuvent avoir un avis négatif à propos du handicap », confirme Théo, 13 ans, qui a eu le courage de parler de l'autisme à ses camarades à l'occasion de la journée internationale des personnes handicapées.
Lui qui fréquente le Sessad depuis deux ans, pense que cela l'a « aidé à parler avec des personnes » : « On peut aller voir la psychologue pour parler, explique Théo. La psychomotricienne m'aide beaucoup dans des tâches, en ce moment elle m'apprend à plier le linge… »
Une sortie préparée
Théo, 13 ans, note des idées de sorties à faire en groupe. La fréquentation du Sessad l'a aidé « à parler avec des personnes », estime l'adolescent, qui a ressenti des discriminations au collège.Quentin, quant à lui, est fier d'annoncer qu'il sait désormais prendre le bus tout seul. Le jeune homme arrive bientôt au terme de son accompagnement au Sessad.
Entré en 2018, il le quittera en juillet prochain: « Cela me fait un peu peur. Je suis vraiment heureux d'être ici. » Pascal Canteloup, éducateur spécialisé, le rassure. La sortie du Sessad se prépare, la coupure ne sera pas nette.
Continuité des parcours
C'est aussi l'intérêt du mode de fonctionnement de ce service: « La passation de relais est facilitée, souligne Emmanuelle Cassiani. Si le jeune a besoin d'un suivi plus souple via le CMP ou la Maison des adolescents, on rencontre les équipes pour le présenter, expliquer ce sur quoi nous avons travaillé et les points de fragilité. Nous sommes habitués à travailler ensemble, ce qui facilite la continuité des parcours. »CONTACT: Tél.: 0387525772/ Site Internet du CMSEA
En bref
• Ouverture: novembre 2014
• Capacité: 14 places à l'ouverture, puis 25 places à partir de 2016, actuellement 45 places (dont 10 places pour les moins de sept ans)
• Budget: 1,17 million d'euros financés par l'Agence régionale de santé (ARS)
Article d'Aurélie VION et photos de Mathieu CUGNOT paru dans Le Média Social